RFI
Tiens, puisque j'ai une espèce de blog maintenant, pourquoi est-ce que je n'y raconterais pas des choses ?
Je peux par exemple parler de mon Interview par RFI. Car avec les médias dits "de masse", le public se voit toujours infliger un résultat sans trop savoir comment il a été obtenu.
C'est pourtant le plus intéressant.
Tout a commencé par un article paru dans Libé qui évoquait l'étude de Wikipédia réalisée par des étudiants de Pierre Assouline à l'Institut d'études politiques de Paris ("Sciences po"). Ces derniers m'avaient contacté quelques temps plus tôt par e-mail pour m'interroger au sujet de mon expérience pédagogique de Wikipédia (j'organise chaque année à Paris 8 un atelier consacré à Wikipédia). Puisqu'ils voyaient dans mon activité une utilisation intéressante de Wikipédia, et qu'ils en parlaient dans leur rapport, mon nom a été évoqué dans l'article de Libé.
Cet article parlait aussi et surtout d'une expérience menée par ces mêmes étudiants et qui consistait à inclure sciemment des erreurs à Wikipédia afin de vérifier en combien de temps et de quelle façon ces erreurs seraient corrigées. Épisode relativement traumatisant pour les wikipédiens qui ont suffisamment de travail avec le vandalisme potache ou les malveillances diverses : s'il faut en plus surveiller les très sérieux établissements de formation des journalistes qui veulent prouver qu'il y a des erreurs dans Wikipédia en les ajoutant eux-mêmes, où va-t-on ? À ce sujet, je me dis au moins que ça y est, c'est bon, c'est fait, l'expérience a été tentée, on peut espérer qu'elle ne le sera pas à nouveau. Il est intéressant de voir que dans le livre "La révolution Wikipédia" (éd. Mille et une nuits), les auteurs de l'étude se font plutôt discrets quand à cette manipulation déontologiquement douteuse.
Enfin bref.
Quelqu'un chez RFI, qui avait vraisemblablement lu l'article, me contacte pour que je participe à un débat avec Pierre Assouline. Je commence par refuser en expliquant à l'assistante du journaliste chez qui le débat doit avoir lieu que je ne suis pas un "bon client". Un "bon client" est une personne qui est à l'aise pour s'exprimer derrière un micro. Les journalistes séparent les êtres humains en deux catégories : les bons clients et les autres.
Pour différentes raisons depuis mes débuts comme graffiteur (il y a 25 ans... j'étais petit, il y a prescription hein !), il m'est arrivé de participer à des émissions de radio, de télé, ou à me faire interviewer par la presse écrite. Et chaque fois j'ai été forcé de constater une chose : je ne suis pas un "bon client" pour les médias comme la télévision et la radio. J'hésite, je baffouille, je réfléchis pendant qu'on me parle, je réponds réellement aux questions qu'on me pose, je n'ai pas un débit fluide, enfin je commets toutes les erreurs qui font que, pour le spectateur/auditeur et plus encore pour le journaliste qui m'interviewe, la prestation est pénible.
La raison pour laquelle ce sont toujours les mêmes gens que l'on reçoit dans tous les talk-shows est celle-ci : le spectateur (et plus encore le journaliste, qui devance cette demande) ne réclame pas qu'on l'édifie, qu'on lui apprenne des choses qu'il ne savait pas, qu'on modifie sa perspective. Il ne veut pas non plus rencontrer des "vrais gens" (il pense en voir suffisemment dans la "vraie vie"). Il veut des gens à détester ou à adorer, des numéros de guignol entre des "personnalités" au discours parfois totalement dénué d'intérêt mais capables de parler de tout. Des bavards pittoresques. Des gens avec qui passer un moment agréable. Un "bon client" se résout entre autres à simplifier son opinion au maximum et souvent aussi à la radicaliser. Le bon client doit émettre un avis "type" (un peu caricatural, qu'on peut rejeter ou au contraire auquel on peut souscrire). Enfin, un bon client doit appliquer une grande règle du journalisme, qui est de se limiter à une seule idée. S'il veut faire savoir quelque chose, il doit le répéter sans se laisser distraire : ce qui se passe au Darfour est terrible, Wikipédia c'est la porte ouverte à toutes les dérives, mon film sort mercredi dans les salles allez le voir, mon nouvel album est bien plus personnel que le précédent.
Bon, bref, je sais que je ne suis pas un bon client, mais je n'ai pas réussi à en convaincre RFI. Donc le rendez-vous est pris pour le 25 juillet, à la maison de la radio, pour un débat en direct d'un quart d'heure. Entre temps, on me réclame toutes sortes de renseignements : mes noms, titres, qualifications diverses,... J'insiste lourdement pour qu'on ne m'appelle pas "Professeur d'arts plastiques" (un titre universitaire). Malheureusement, le site de RFI comme le journaliste Jean-François Cadet prétendront que je suis "professeur". Car "professeur", c'est simple, tout le monde sait ce que c'est contrairement à "maître de conférences associé". Donc comme tout le monde sait ce que c'est, on dit "professeur". C'est un peu comme si on appelait les rhododendrons des coquelicots car les coquelicots, tout le monde sait ce que c'est. Voilà encore le genre de détail qui distingue le journaliste du wikipédiste.
J'arrive avec une heure d'avance. À l'accueil, je rencontre l'assistante du journaliste qui va animer le débat. Elle me propose d'aller me servir un café avant de me conduire dans un bureau où je patiente en lisant les journaux. Une demi-heure plus tard, arrive Pierre Assouline, que l'on fait patienter dans le même bureau. Il est assez à l'aise, il connaît bien la maison de la radio. Lui c'est un bon client. On échange quelques mots et il me prévient d'emblée - c'est un pro - qu'il faut que l'on parle de tout sauf du débat, car sinon, on n'aura rien à se dire une fois devant les micros. Malgré son conseil, je lui parle un peu de l'atelier encyclopédique que j'anime à la fac, et comme il me l'avait prédit, j'oublierais totalement d'en parler une fois l'émission commencée. Je dis à Assouline que son livre sur Hergé a bonne réputation mais que je ne l'ai pas lu . Lui, me dit que finalement, Le Parisien est le meilleur quotidien. Même si mon grand-père y travaille toujours (à 90 ans !), j'ai du mal à être d'accord, la presse nationale me semble très uniformément médiocre : peu de différences d'un journal à l'autre, une vague "culture maison" persistante (le Figaro "de droite", Le Monde "de référence", Libé "moderne", le Parisien "populaire"... Mais sur le fond les nouvelles sont les mêmes et elles sont dites pareil). On dit souvent que les Wikipédiens n'aiment pas tellement les journalistes. C'est peut-être partiellement vrai, je ne sais pas... Personnellement je n'aime pas tellement les pratiques journalistiques : pas le temps de réfléchir, pas le temps de sortir des clichés, pas le temps d'être original... Au fond les journalistes papier et, pire, télé, ont très peu de choses à raconter. Le public ne s'y trompe pas : les journaux "gratuits" qui se contentent de recopier les dépêches AFP ont désormais de très forts tirages.
C'est l'heure d'approcher du studio... On nous fait patienter en régie, puis il faut entrer le temps d'un jingle ou d'une liaison avec un journaliste en direct de je-ne-sais-où, j'ai oublié. Je sens ma gorge qui se sèche, je ne me sens pas très bien,... Le journaliste, un type rond avec des lunettes rondes, reprend le micro : "bla bla bla... et pour ce débat... Bonjour Pierre Assouline". Pierre Assouline répond "bonjour", puis je suis apostrophé à mon tour : "bonjour".
La suite est un supplice. Le journaliste comprend très vite que j'ai la capacité de planter une émission (rappelez-vous, je ne suis pas un bon client), donc il me coupe la parole une fois et ne me la rend plus tellement. Dès le départ, je m'étais surtout promis de ne pas tomber dans le registre "wikipédodule" et d'admettre qu'il y a des problèmes, que, oui, on peut lire des conneries sur Wikipédia, que, effectivement, tout le monde n'est pas bien intentionné... Et alors ? Un problème, c'est quelque chose à régler, j'essaie de défendre le fait que Wikipédia est un processus et non un ouvrage fini. Assouline, un rien déstabilisé, embraye alors sur une autre idée : il me trouve bien sympathique, bien sincère et bien honnête (comprendre : idiot) mais tous les wikipédiens ne sont pas comme ça, pensez, ma bonne dame, il y a aussi les négationnistes qui sont "très organisés" (trois blaireaux depuis leurs chambres de bonne qui se sentent immensément puissants en jouant les Goebels 2007 sur des forums, tu parles d'une menace organisée) et qui ont placé un livre anti-dreyfusard en tête de la bibliographie de l'affaire Dreyfus.
Au passage, Assouline explique que les professionnels (il cite en exemple RFI), au moins, ne disent pas n'importe quoi. Il vient juste de dire que ses étudiants qui avaient le bac avec mention (sic) et qui représentaient une forme d'élite étaient des feinéants finis qui copiaient-collaient wikipédia sans en vérifier les articles.
Le journaliste n'avait pas lu le "brief" que j'avais envoyé : il ne me pose de question sur aucune de mes activités, il me parle comme si j'étais un représentant officiel de Wikipédia et il me qualifie de "professeur"... Pfff.... Mais je ne l'intéresse pas tellement, de toute manière, il veut juste que je dise "oui, Wikipédia est fiable" afin de donner le change à Pierre Assouline qui dit que "non, Wikipédia n'est pas fiable". J'ai l'air un peu sur la défensive (les questions qu'on me pose ne servent qu'à me placer dans cette position et je n'ai pas la présence d'esprit suffisante pour l'esquiver)... je tente une percée sur le caractère douteux de la fiabilité en racontant que les encyclopédies ont toujours été le reflet de leur époque y compris dans l'erreur et la déformation. Je ne pense pas à raconter l'histoire de Socrate qui, après avoir longtemps cherché un homme qui soit plus sage qu'il ne l'était se dit que, à ignorance égale, le plus sage est encore celui qui ne croit pas en sa propre sagesse.
Le supplice n'est pas très long : un quart d'heure, c'est extrèmement court, en fait. Fin de l'émission, je n'ai rien dit d'intéressant. Assouline non plus, il s'est contenté d'anoner ce pourquoi il avait été convoqué ("wikipédia n'est pas fiable"). Le journaliste, qui ne s'intéresse visiblement pas du tout au sujet n'a rien dit d'intéressant non plus. Fin de l'émission, JF Cadet vient serrer la main à Pierre Assouline, les deux hommes ne se connaissent pas mais ont apparemment plein d'amis en commun : et comment va machin ? et truc, qu'est-ce qu'il devient ?
Je me sens subitement comme le mec qui n'était pas invité, qui est là quand même et qu'on dévisage en se demandant ce qu'il fout ici. Peter Sellers dans The Party.
Bah... Je me dirige vers l'ascenceur que je prends avec Assouline, qui n'avait visiblement pas l'intention de faire de vieux os (je suppose que dans un certain rapport de forces professionnel que je ne peux pas comprendre n'appartenant pas au microcosme journalistique, Assouline est plus important que l'interviewer Jean-François Cadet - donc ça ne l'intéresse pas de rester pour un quart d'heure de salamalecs).
Sur le chemin, je discute quelques minutes avec Assouline : plutôt sympathique, mais il n'écoute pas tellement ce que je lui dis (il ne rebondit que sur ce qui va dans son sens). Encore un problème des journalistes à mon avis : ils dépensent plus d'énergie à convaincre/transmettre qu'à comprendre/analyser. Ce sont des pros. Nous on est des amateurs.
Quelques jours plus tard, j'apprendrai qu'un employé de la maison de la radio vandalise régulièrement Wikipédia, en écrivant notamment dans un article : "[...] les meilleures universités françaises, où vous feriez mieux d'aller plutôt que lire ce site. Vous y apprendriez qu'un site dans lequel n'importe qui peut corriger n'importe quoi n'est pas sérieux. Vous feriez mieux de vous inscrire à une bibliothèque pour y prendre un bon livre." Encore un pompier pyromane qui veut démontrer que Wikipédia contient des vandalismes en vandalisant Wikipédia. J'écris à l'administrateur réseau de Radio France pour lui signaler qu'un employé du bâtiment dégrade sciemment le projet Wikipédia, mais je ne reçois aucune réponse.
Je peux par exemple parler de mon Interview par RFI. Car avec les médias dits "de masse", le public se voit toujours infliger un résultat sans trop savoir comment il a été obtenu.
C'est pourtant le plus intéressant.
Tout a commencé par un article paru dans Libé qui évoquait l'étude de Wikipédia réalisée par des étudiants de Pierre Assouline à l'Institut d'études politiques de Paris ("Sciences po"). Ces derniers m'avaient contacté quelques temps plus tôt par e-mail pour m'interroger au sujet de mon expérience pédagogique de Wikipédia (j'organise chaque année à Paris 8 un atelier consacré à Wikipédia). Puisqu'ils voyaient dans mon activité une utilisation intéressante de Wikipédia, et qu'ils en parlaient dans leur rapport, mon nom a été évoqué dans l'article de Libé.
Cet article parlait aussi et surtout d'une expérience menée par ces mêmes étudiants et qui consistait à inclure sciemment des erreurs à Wikipédia afin de vérifier en combien de temps et de quelle façon ces erreurs seraient corrigées. Épisode relativement traumatisant pour les wikipédiens qui ont suffisamment de travail avec le vandalisme potache ou les malveillances diverses : s'il faut en plus surveiller les très sérieux établissements de formation des journalistes qui veulent prouver qu'il y a des erreurs dans Wikipédia en les ajoutant eux-mêmes, où va-t-on ? À ce sujet, je me dis au moins que ça y est, c'est bon, c'est fait, l'expérience a été tentée, on peut espérer qu'elle ne le sera pas à nouveau. Il est intéressant de voir que dans le livre "La révolution Wikipédia" (éd. Mille et une nuits), les auteurs de l'étude se font plutôt discrets quand à cette manipulation déontologiquement douteuse.
Enfin bref.
Quelqu'un chez RFI, qui avait vraisemblablement lu l'article, me contacte pour que je participe à un débat avec Pierre Assouline. Je commence par refuser en expliquant à l'assistante du journaliste chez qui le débat doit avoir lieu que je ne suis pas un "bon client". Un "bon client" est une personne qui est à l'aise pour s'exprimer derrière un micro. Les journalistes séparent les êtres humains en deux catégories : les bons clients et les autres.
Pour différentes raisons depuis mes débuts comme graffiteur (il y a 25 ans... j'étais petit, il y a prescription hein !), il m'est arrivé de participer à des émissions de radio, de télé, ou à me faire interviewer par la presse écrite. Et chaque fois j'ai été forcé de constater une chose : je ne suis pas un "bon client" pour les médias comme la télévision et la radio. J'hésite, je baffouille, je réfléchis pendant qu'on me parle, je réponds réellement aux questions qu'on me pose, je n'ai pas un débit fluide, enfin je commets toutes les erreurs qui font que, pour le spectateur/auditeur et plus encore pour le journaliste qui m'interviewe, la prestation est pénible.
La raison pour laquelle ce sont toujours les mêmes gens que l'on reçoit dans tous les talk-shows est celle-ci : le spectateur (et plus encore le journaliste, qui devance cette demande) ne réclame pas qu'on l'édifie, qu'on lui apprenne des choses qu'il ne savait pas, qu'on modifie sa perspective. Il ne veut pas non plus rencontrer des "vrais gens" (il pense en voir suffisemment dans la "vraie vie"). Il veut des gens à détester ou à adorer, des numéros de guignol entre des "personnalités" au discours parfois totalement dénué d'intérêt mais capables de parler de tout. Des bavards pittoresques. Des gens avec qui passer un moment agréable. Un "bon client" se résout entre autres à simplifier son opinion au maximum et souvent aussi à la radicaliser. Le bon client doit émettre un avis "type" (un peu caricatural, qu'on peut rejeter ou au contraire auquel on peut souscrire). Enfin, un bon client doit appliquer une grande règle du journalisme, qui est de se limiter à une seule idée. S'il veut faire savoir quelque chose, il doit le répéter sans se laisser distraire : ce qui se passe au Darfour est terrible, Wikipédia c'est la porte ouverte à toutes les dérives, mon film sort mercredi dans les salles allez le voir, mon nouvel album est bien plus personnel que le précédent.
Bon, bref, je sais que je ne suis pas un bon client, mais je n'ai pas réussi à en convaincre RFI. Donc le rendez-vous est pris pour le 25 juillet, à la maison de la radio, pour un débat en direct d'un quart d'heure. Entre temps, on me réclame toutes sortes de renseignements : mes noms, titres, qualifications diverses,... J'insiste lourdement pour qu'on ne m'appelle pas "Professeur d'arts plastiques" (un titre universitaire). Malheureusement, le site de RFI comme le journaliste Jean-François Cadet prétendront que je suis "professeur". Car "professeur", c'est simple, tout le monde sait ce que c'est contrairement à "maître de conférences associé". Donc comme tout le monde sait ce que c'est, on dit "professeur". C'est un peu comme si on appelait les rhododendrons des coquelicots car les coquelicots, tout le monde sait ce que c'est. Voilà encore le genre de détail qui distingue le journaliste du wikipédiste.
J'arrive avec une heure d'avance. À l'accueil, je rencontre l'assistante du journaliste qui va animer le débat. Elle me propose d'aller me servir un café avant de me conduire dans un bureau où je patiente en lisant les journaux. Une demi-heure plus tard, arrive Pierre Assouline, que l'on fait patienter dans le même bureau. Il est assez à l'aise, il connaît bien la maison de la radio. Lui c'est un bon client. On échange quelques mots et il me prévient d'emblée - c'est un pro - qu'il faut que l'on parle de tout sauf du débat, car sinon, on n'aura rien à se dire une fois devant les micros. Malgré son conseil, je lui parle un peu de l'atelier encyclopédique que j'anime à la fac, et comme il me l'avait prédit, j'oublierais totalement d'en parler une fois l'émission commencée. Je dis à Assouline que son livre sur Hergé a bonne réputation mais que je ne l'ai pas lu . Lui, me dit que finalement, Le Parisien est le meilleur quotidien. Même si mon grand-père y travaille toujours (à 90 ans !), j'ai du mal à être d'accord, la presse nationale me semble très uniformément médiocre : peu de différences d'un journal à l'autre, une vague "culture maison" persistante (le Figaro "de droite", Le Monde "de référence", Libé "moderne", le Parisien "populaire"... Mais sur le fond les nouvelles sont les mêmes et elles sont dites pareil). On dit souvent que les Wikipédiens n'aiment pas tellement les journalistes. C'est peut-être partiellement vrai, je ne sais pas... Personnellement je n'aime pas tellement les pratiques journalistiques : pas le temps de réfléchir, pas le temps de sortir des clichés, pas le temps d'être original... Au fond les journalistes papier et, pire, télé, ont très peu de choses à raconter. Le public ne s'y trompe pas : les journaux "gratuits" qui se contentent de recopier les dépêches AFP ont désormais de très forts tirages.
C'est l'heure d'approcher du studio... On nous fait patienter en régie, puis il faut entrer le temps d'un jingle ou d'une liaison avec un journaliste en direct de je-ne-sais-où, j'ai oublié. Je sens ma gorge qui se sèche, je ne me sens pas très bien,... Le journaliste, un type rond avec des lunettes rondes, reprend le micro : "bla bla bla... et pour ce débat... Bonjour Pierre Assouline". Pierre Assouline répond "bonjour", puis je suis apostrophé à mon tour : "bonjour".
La suite est un supplice. Le journaliste comprend très vite que j'ai la capacité de planter une émission (rappelez-vous, je ne suis pas un bon client), donc il me coupe la parole une fois et ne me la rend plus tellement. Dès le départ, je m'étais surtout promis de ne pas tomber dans le registre "wikipédodule" et d'admettre qu'il y a des problèmes, que, oui, on peut lire des conneries sur Wikipédia, que, effectivement, tout le monde n'est pas bien intentionné... Et alors ? Un problème, c'est quelque chose à régler, j'essaie de défendre le fait que Wikipédia est un processus et non un ouvrage fini. Assouline, un rien déstabilisé, embraye alors sur une autre idée : il me trouve bien sympathique, bien sincère et bien honnête (comprendre : idiot) mais tous les wikipédiens ne sont pas comme ça, pensez, ma bonne dame, il y a aussi les négationnistes qui sont "très organisés" (trois blaireaux depuis leurs chambres de bonne qui se sentent immensément puissants en jouant les Goebels 2007 sur des forums, tu parles d'une menace organisée) et qui ont placé un livre anti-dreyfusard en tête de la bibliographie de l'affaire Dreyfus.
Au passage, Assouline explique que les professionnels (il cite en exemple RFI), au moins, ne disent pas n'importe quoi. Il vient juste de dire que ses étudiants qui avaient le bac avec mention (sic) et qui représentaient une forme d'élite étaient des feinéants finis qui copiaient-collaient wikipédia sans en vérifier les articles.
Le journaliste n'avait pas lu le "brief" que j'avais envoyé : il ne me pose de question sur aucune de mes activités, il me parle comme si j'étais un représentant officiel de Wikipédia et il me qualifie de "professeur"... Pfff.... Mais je ne l'intéresse pas tellement, de toute manière, il veut juste que je dise "oui, Wikipédia est fiable" afin de donner le change à Pierre Assouline qui dit que "non, Wikipédia n'est pas fiable". J'ai l'air un peu sur la défensive (les questions qu'on me pose ne servent qu'à me placer dans cette position et je n'ai pas la présence d'esprit suffisante pour l'esquiver)... je tente une percée sur le caractère douteux de la fiabilité en racontant que les encyclopédies ont toujours été le reflet de leur époque y compris dans l'erreur et la déformation. Je ne pense pas à raconter l'histoire de Socrate qui, après avoir longtemps cherché un homme qui soit plus sage qu'il ne l'était se dit que, à ignorance égale, le plus sage est encore celui qui ne croit pas en sa propre sagesse.
Le supplice n'est pas très long : un quart d'heure, c'est extrèmement court, en fait. Fin de l'émission, je n'ai rien dit d'intéressant. Assouline non plus, il s'est contenté d'anoner ce pourquoi il avait été convoqué ("wikipédia n'est pas fiable"). Le journaliste, qui ne s'intéresse visiblement pas du tout au sujet n'a rien dit d'intéressant non plus. Fin de l'émission, JF Cadet vient serrer la main à Pierre Assouline, les deux hommes ne se connaissent pas mais ont apparemment plein d'amis en commun : et comment va machin ? et truc, qu'est-ce qu'il devient ?
Je me sens subitement comme le mec qui n'était pas invité, qui est là quand même et qu'on dévisage en se demandant ce qu'il fout ici. Peter Sellers dans The Party.
Bah... Je me dirige vers l'ascenceur que je prends avec Assouline, qui n'avait visiblement pas l'intention de faire de vieux os (je suppose que dans un certain rapport de forces professionnel que je ne peux pas comprendre n'appartenant pas au microcosme journalistique, Assouline est plus important que l'interviewer Jean-François Cadet - donc ça ne l'intéresse pas de rester pour un quart d'heure de salamalecs).
Sur le chemin, je discute quelques minutes avec Assouline : plutôt sympathique, mais il n'écoute pas tellement ce que je lui dis (il ne rebondit que sur ce qui va dans son sens). Encore un problème des journalistes à mon avis : ils dépensent plus d'énergie à convaincre/transmettre qu'à comprendre/analyser. Ce sont des pros. Nous on est des amateurs.
Quelques jours plus tard, j'apprendrai qu'un employé de la maison de la radio vandalise régulièrement Wikipédia, en écrivant notamment dans un article : "[...] les meilleures universités françaises, où vous feriez mieux d'aller plutôt que lire ce site. Vous y apprendriez qu'un site dans lequel n'importe qui peut corriger n'importe quoi n'est pas sérieux. Vous feriez mieux de vous inscrire à une bibliothèque pour y prendre un bon livre." Encore un pompier pyromane qui veut démontrer que Wikipédia contient des vandalismes en vandalisant Wikipédia. J'écris à l'administrateur réseau de Radio France pour lui signaler qu'un employé du bâtiment dégrade sciemment le projet Wikipédia, mais je ne reçois aucune réponse.